Le directeur général de l’Agence des participations de l’Etat (APE) donne aux « Echos » sa première interview.
Les participations de l’Etat diminuent, pourtant elles sont gérées plus activement que jamais. Comment expliquer ce paradoxe apparent ?
La valeur des participations cotées de l’Etat français dépasse 150 milliards d’euros et nous avons aussi de très grandes entreprises non cotées. Au total, le chiffre d’affaires de nos entreprises est de l’ordre de 160 milliards d’euros. Il est vrai que nous avons réduit le périmètre. Par exemple, nous avons vendu les autoroutes, et, à chaque fois que nous mettons une entreprise sur le marché, nous nous employons à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Mais parfois des branches repoussent… Cela étant, ce périmètre reste relativement large par comparaison à d’autres pays.
Le métier de l’Agence des participations de l’Etat est d’être l’actionnaire de ces entreprises qui appartiennent en totalité ou en partie aux Français. Il est de veiller à ce qu’elles se développent et .
Ce n’était pas le cas auparavant ?
Peut-être sommes-nous plus attentifs à leur développement et pas seulement à leurs comptes, peut-être faisons-nous un peu plus de stratégie avec elles que par le passé. Les équipes de l’APE passent plus de 80 % de leur temps à recevoir les managers de ces entreprises pour parler de leurs projets. En 2007, l’APE a siégé dans 500 conseils d’administration et comités d’audit. Nous sommes certainement devenus, en France, ceux qui avons le plus d’expérience des conseils d’administration à grande échelle et connaissons la théorie mais surtout, aussi, la pratique de ce qu’on appelle la gouvernance.
Avec l’APE, l’Etat est passé d’une logique de tutelle – mot d’ailleurs banni de notre langage – à une logique d’actionnaire. Le fax du vendredi à 23 heures par lequel une entreprise informait Bercy d’une opération stratégique qu’elle lançait le lundi matin, c’est terminé.
Est-ce que cela arrive-t-il encore ?
Non, car j’ai débranché mon fax… Plus sérieusement, nous voyons les dirigeants d’entreprise très en amont pour discuter avec eux de leurs projets. Nous en discutons toujours très librement. Parfois même, nous avons des échanges musclés… Mais, parfois aussi, cela a permis d’éviter de grosses bêtises ! Nous avons pu aussi aider des entreprises à surmonter des difficultés importantes. Par exemple, La Poste pour mettre en place La Banque Postale. Nous n’essayons ni de bloquer systématiquement les projets ni d’être pousse-au-crime. Mais d’être dans une relation d’actionnaire-partenaire.
L’APE propose-t-elle d’elle-même des privatisations ou l’initiative vient-elle toujours du politique ?
L’APE n’est pas une agence de privatisation. Je ne me lève pas le matin en me demandant quelle entreprise je vais pouvoir mettre sur le marché. Il arrive que l’APE fasse des recommandations de ce type pour des motifs stratégiques, jamais pour des raisons budgétaires. La mise sur le marché d’Aéroports de Paris, d’EDF, de Gaz de France, puis la fusion avec Suez, ont été portées par l’APE. Mais elles ne seraient pas allées au bout si elles n’avaient pas été portées politiquement. Et puis, surtout, l’APE n’a pas vocation à être une agence indépendante mais est placée sous l’autorité politique, en l’occurrence celle du ministre des Finances, car elle s’occupe, avec les méthodes du privé, d’affaires publiques.
Sur l’entrée au capital des Chantiers de l’Atlantique, avez-vous été moteur ?
L’agence s’est efforcée d’aider. Lorsqu’un pays a des atouts industriels majeurs, et c’est le cas des Chantiers de Saint-Nazaire, je ne vois pas pourquoi, tout en restant très ouvert aux investissements étrangers, il ne les ferait pas prospérer dans la compétition mondiale. L’Etat vend la plupart du temps, il doit savoir acheter quand il le faut. Mais, naturellement, c’est au politique d’en décider. Il l’a fait.
Sur les fonds de démantèlement nucléaire, vous avez aussi été très actif…
Il y a eu convergence entre une démarche citoyenne et l’intérêt de l’actionnaire. Nous pensions qu’EDF se développerait mieux en étant coté. Et il n’était pas possible de mettre EDF sur le marché sans éclairer les investisseurs sur la façon dont l’entreprise ferait face aux coûts de démantèlement des centrales nucléaires. Beaucoup de pays regardent aujourd’hui ce que nous avons fait. Nous sommes parvenus à un point d’équilibre, en autorisant différents types de placements pour concilier rentabilité et sécurité.
Et quand EDF se lance sur le marché britannique, il le fait avec votre consentement depuis le début ?
Tout à fait, mais dans le respect des procédures normales de gouvernance car nous sommes très attachés à ce que les conseils jouent leur rôle pleinement. Qu’ils ne soient plus des chambres d’enregistrement où les syndicats étaient là pour protester, les personnalités qualifiées pour dormir et les représentants de l’Etat pour faire de la figuration. Nous avons fait en sorte que ces conseils soient plus professionnalisés. Il existe une charte des relations entre l’APE et ses entreprises. C’est d’une banalité affligeante dans son contenu mais c’est en soi une révolution. Il y est écrit, par exemple, que les conseils doivent être saisis des sujets importants. Cela paraît évident, mais, lorsque je suis arrivé et que je demandais à un dirigeant quand il allait passer tel dossier au conseil, je m’entendais parfois répondre : « Mais vous plaisantez, c’est un dossier trop important pour passer au conseil… » Dans l’ensemble, je veux souligner que nous avons désormais, à la tête de nos entreprises, une génération d’excellents dirigeants qui ne considèrent plus du tout qu’une entreprise publique a toujours des excuses pour être moins bien gérée. Nous avons d’ailleurs beaucoup modernisé leurs rémunérations. Elles ont été revues à la hausse pour réduire les écarts avec le privé et nous les négocions chaque année en fonction de leurs performances.
Quels sont les critères ?
Ils sont à la fois quantitatifs et qualitatifs. Il y a la rentabilité de l’entreprise. Il y a aussi la structure du bilan, la réduction de l’endettement, le niveau du cash-flow… Et puis il y a des critères plus qualitatifs comme par exemple la réussite de grands projets, la réduction des délais d’attente des clients au guichet dans de grands services publics.
Vous avez donc été amené cette année à réduire ou supprimer des bonus…
Oui et si j’en juge à la quantité de décibels que j’ai reçus dans les oreilles, le sens des mots « part variable » est désormais parfaitement compris……
l’APE est née d’une crise, celle de la faillite de France Télécom… Je ne suis pas près de l’oublier. J’ai pris mes fonctions au sein de ce qui était un service du Trésor le 15 juillet 2002 et, le lendemain, j’avais sur mon bureau un dossier intitulé France Télécom : 70 milliards d’euros de dette et moins 400 millions de fonds propres. Dans ce contexte, il y eut immédiatement ce questionnement : si ces entreprises en sont là, n’est-ce pas aussi parce que l’actionnaire ne s’en est pas bien occupé ? En fait, la Direction du Trésor avait parfaitement fait son métier, mais il manquait les outils et une incarnation forte de l’actionnaire. Le concept est venu, alors, d’une agence dédiée, quoique clairement placée sous l’autorité politique. De manière à ce que les dirigeants ne puissent plus invoquer l’absence d’interlocuteur clair et bien identifié. Il y avait aussi un besoin de communication vis-à-vis du Parlement : c’est l’objet du rapport annuel de l’Etat actionnaire et des auditions qui sont régulièrement organisées.
L’Etat ne siège pas directement au conseil de cette entreprise. J’ai eu l’occasion d’expliquer publiquement que le mode de contrôle qui avait été mis en place pour EADS était l’exact contraire de ce que nous souhaitions faire depuis la création de l’APE. Mais nous avons bien avancé depuis.
Est-il normal que la Caisse des Dépôts reste elle aussi en dehors du périmètre de l’APE ?
La Caisse des Dépôts est sous la surveillance spéciale du Parlement.
L’APE a-t-elle une part de responsabilité dans l’amélioration spectaculaire des résultats des entreprises publiques ?
Tout ce que nous faisons depuis plusieurs années se traduit par des résultats. La discipline que nous avons introduite explique en partie la meilleure rentabilité de ces entreprises. Mais n’exagérons rien : si les bénéfices d’EDF ont été multipliés par plus de dix depuis 2002, c’est aussi, bien évidemment, parce que les prix de l’énergie ont fortement augmenté.
L’Etat demande désormais des dividendes conséquents. En demande-t-il assez ?
Tout le monde trouve normal aujourd’hui que la SNCF et La Poste versent un dividende. Mais c’est très nouveau. L’APE en a fait une règle. Quant au montant de ce dividende, il est négocié avec le management, en tenant compte du secteur d’activité et des besoins d’investissement de l’entreprise. C’est du cas par cas. Nous regardons aussi ce que font les concurrents de nos entreprises.
L’APE est-elle à l’origine de décisions stratégiques des entreprises ?
Nous ne voulons pas nous substituer aux dirigeants. Ce n’est pas à l’APE de faire la première proposition. Ce serait une faute. Ce n’est pas à nous d’inventer le matin une cible pour une acquisition de France Télécom ou EDF. L’Etat n’est plus un actionnaire dormant, mais il ne doit pas non plus faire du Meccanoindustriel en chambre toute la journée. Nous sommes donc plus souvent en mode réactif que prescriptif et je le revendique, car notre rôle n’est pas d’inventer la stratégie de la SNCF à la place de Guillaume Pepy, celle d’Areva à la place d’Anne Lauvergeon ou celle de La Poste à celle de Jean-Paul Bailly. Il est en revanche de passer le temps nécessaire avec eux pour « challenger » leurs idées, les infléchir le cas échéant, les encourager autant que possible lorsque nous partageons les projets.
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANCIS PÉCRESSE ET PASCAL POGAM
Source: Les Echos 30 juin 2008